Sur les traces du poivre
- clothildedutry
- 13 avr.
- 3 min de lecture
C’est lors d’un voyage au Sri Lanka, en me perdant dans les allées d’un jardin botanique dédié aux épices et aux racines, que j’ai découvert toute la richesse et la diversité du poivre – bien loin du simple moulin posé sur nos tables.
Dans nos cuisines, le poivre semble aller de soi, posé là, fidèle compagnon du sel. Et pourtant, derrière ce mot familier se cache une incroyable diversité de plantes, de cultures et de traditions. Qu’il vienne des lianes grimpantes du genre Piper en Inde, des baies piquantes du Szechuan ou des grains parfumés du Cameroun, le poivre raconte une histoire aux multiples arômes. Tantôt noir, vert, blanc ou rouge, tantôt citronné, boisé ou anesthésiant, il dépasse largement sa définition botanique pour devenir une matière vivante de nos voyages sensoriels.
Précieuse et convoitée depuis l’Antiquité, cette épice a longtemps traversé les routes commerciales comme une richesse à part entière. Le mot "poivre", issu du sanskrit pipalli, a voyagé lui aussi, semant parfois la confusion avec d’autres plantes comme les piments du Nouveau Monde. Aujourd’hui, redécouvrir les "poivres du monde", c’est plonger dans une palette de saveurs qui éveillent nos souvenirs de marchés lointains, d’assiettes relevées et d’odeurs entêtantes.
Le mot "épices" sent bon l’aventure. Il vient du latin species, qui désignait autrefois des produits précieux venus de loin : riz, sucre, poivre, cannelle… Tout ce que l’épicier vendait, en somme. Jusqu’au XVIIᵉ siècle, les épices n’étaient pas seulement synonymes de goût, mais aussi de soin. Comme le rappelle Françoise Aubaile, elles étaient reconnues pour leurs vertus thérapeutiques : antibactériennes, antispasmodiques, digestives… Et utilisées bien avant l’ère des antibiotiques, dans la médecine occidentale et encore aujourd’hui dans de nombreuses médecines traditionnelles. Chaque culture a ses mélanges-phares : garam masala, curry, ras el-hanout, colombo, pesto ou aïoli... autant de combinaisons savantes qui allient bien-être et plaisir.
Mais les épices, c’est aussi toute une histoire de goût, et ça ne date pas d’hier ! Serge Bahuchet nous fait voyager dans le temps : on retrouve des traces d’épices dans des poteries datant de 6 000 ans au Danemark (herbe-à-ail), 4 500 ans en Inde (gingembre et curcuma), 3 500 ans en Europe (pavot). Contrairement à une idée reçue, leur usage ne visait pas uniquement à conserver les aliments. En Inde, on épicait légumes comme viandes — preuve que le plaisir sensoriel comptait déjà. En Europe, leur rareté les rendait précieuses : les épices étaient un signe de distinction sociale, une ouverture au monde que l’on affichait jusque dans l’assiette.
Et que dire du roi des épices : le poivre ? Il nous vient de loin lui aussi. Le mot "poivre" dérive de pippali, un mot pali issu du sanskrit désignant Piper longum. Il devient peperi chez les Grecs, piper chez les Romains, puis peivre au Moyen Âge, avant de devenir ce "poivre" que l’on connaît. Mais attention, tous les poivres ne viennent pas du genre Piper. Pour Françoise Aubaile, dès l’Antiquité, c’est le goût piquant qui définit le poivre, pas sa botanique. C’est pourquoi on parle de poivre de Sichuan, poivre du Timut, ou poivre rose… alors qu’aucun n’est un "vrai" poivre au sens strict. Erwann de Kerros ajoute avec malice que ce qui fait un poivre, c’est surtout un fruit qu’on peut broyer, réduire en poudre… et saupoudrer pour réveiller un plat.


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